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FIGEAC AU MOYEN AGE :

LES MAISONS DU XIIE AU XIVE SIÈCLE

par Anne-Laure Napoléone

 

Thèse Nouveau Régime dirigée par Madame le Professeur M. Pradalier-Schlumberger

Université de Toulouse-Le Mirail, 1993

 

Après les études effectuées au siècle dernier, les archéologues abandonnèrent l'architecture civile au profit des ensembles monumentaux religieux, mieux documentés, plus spectaculaires et mieux conservés. Ce n'est que depuis une dizaine d'années que l'on s'intéresse à nouveau à la demeure urbaine médiévale, que les études se multiplient et que les méthodes s'affinent. Quelques ensembles urbains sont désormais biens connus parmi lesquels, Montpellier, Rouen, Cahors, etc.... Cette recherche sur Figeac n'est donc pas isolée, elle entre dans les orientations actuelles de l'étude du Moyen Age. Au départ, nous avons fait une simple constatation : il existe de nombreux vestiges d'architecture médiévale, le plus souvent ignorés car cachés sous des crépis ou encore peu connus car mal conservés et difficilement déchiffrables ; il s'agit de témoignages fragiles et trop souvent détruits, qui permettraient sans aucun doute d'enrichir d'éléments nouveaux l'histoire de la ville médiévale. Pourtant l'étude d'édifices ayant subi de multiples remaniements au cours des siècles n'est pas chose aisée, d'autant plus que la fonction d'habitation limite quelque peu l'enquête. Celle-ci rend nécessaire l'élaboration d'une méthode particulière qui permette de restituer la demeure médiévale à partir des indices conservés.

La phase de déchiffrage des murs passe aussi nécessairement par l'observation des maçonneries et des enduits, complétée de relevés archéologiques. La constitution de monographies détaillées d'un certain nombre d'édifices permet alors d'aborder, dans un deuxième temps, l'analyse de l'ensemble monumental conservé. Les buts de la recherche sont multiples. Les maisons urbaines constituent un nouveau terrain d'étude pour l'analyse de la construction médiévale, elle doit contribuer à une meilleure connaissance de l'architecture, non seulement de ses formes et de ses décors mais également de toutes les particularités liées à l'emploi des matériaux locaux et à leur mise en oeuvre. Des remarques intéressantes pourront être faites en comparant constructions religieuses et civiles. L'établissement de répertoires de formes doit permettre d'établir une chronologie relative entre les édifices et d'aborder sans trop d'erreurs la phase importante des datations. Dans des domaines plus proprement historiques, l'analyse du parcellaire et les cartographies de vestiges apporteront inévitablement un certain nombre d'indices sur les mouvements de la croissance urbaine, rarement documentés par les textes. Enfin, on ne peut aborder l'étude de l'habitat sans évoquer l'habitant lui-même, les édifices civils constituant une nouvelle source à part entière de l'histoire sociale. Le commanditaire est évoqué par les décors, l'importance de sa demeure, son intérieur et son confort, en bref, le cadre de sa vie privé que l'on ne connaissait jusque-là que par les textes et l'iconographie.

Figeac est une ville assez mal connue par les sources écrites mais son centre est un réservoir impressionant de vestiges plus ou moins bien conservés, constituant un ensemble particulièrement homogène. Cette homogénéïté est due à l'emploi exclusif d'un grès d'excellente qualité qui a permis en outre de multiplier de façon originale les décors sculptés. Cet ensemble remarqué et reconnu pour sa valeur dès le XIXe siècle n'a pourtant jamais fait l'objet d'étude.

Le travail mené sur les maisons de Figeac a apporté des résultats importants. Dans le domaine purement historique, il a permis de combler quelque peu les immenses lacunes laissées par les textes. On savait que la ville était née grâce à l'implantation d'un monastère sur le site au IXe siècle. L'étude des plans anciens confrontée à celle des édifices civils conservés permet de cerner les grandes étapes de la croissance urbaine. La ville s'est formée autour de deux noyaux, celui de l'abbaye et celui de l'église de Notre-Dame du Puy. Des vestiges de parcellaire concentrique sont repérables autour de ces deux centres, mais ceux du deuxième noyau sont nettement plus importants. On peut en conclure que si l'abbaye avait attiré quelques constructions sous les murs de sa ceinture, la ville naissante s'était plutôt développée sur les pentes de la colline du Puy, autour de ce qui devait être sa première église paroissiale. Une fois les deux noyaux rejoints, c'est de part et d'autre des grands axes que s'est développée la ville comme le confirme la cartographie des édifices les plus anciens ; les centres se déplacent alors sur les places commerciales. Cet état est, semble-t-il, atteint vers le milieu du XIIe siècle. A cette époque le monastère mène sans doute une politique active pour fixer les populations et fait construire le canal pour développer les activités artisanales. Dès la fin du XIe siècle d'autre part, la décision est prise de rebâtir les bâtiments monastiques ; l'abbaye ne devait pas manquer d'attirer les pèlerins. On sait que, dès la fin du XIIe siècle, les Figeacois sont présents sur les grands marchés méditerranéens. Le grand commerce est la principale source d'enrichissement des grandes familles. Les traces cartographiées des maisons des différentes époques indiquent que la ville s'accroît, que le parcellaire se modifie en se densifiant ; les constructions occupent de plus en plus les espaces qui avaient été réservés jusque-là aux jardins, aux vergers, voire aux champs à l'intérieur de la ville. C'est le cas du jardin de l'abbé ; sur son emplacement fut mise en oeuvre au XIIIe siècle, la construction programmée du quartier Ortabadial, révélée par son parcellaire caractéristique en lanières. A cette époque, la ville bouillonne donc d'activité. Les marchands envahissent les rues et l'on tente de réglementer tant les activités commerciales dans les vieilles rues et places de dimensions restreintes que les nouvelles constructions aux abords des grandes voies afin que la circulation puisse s'y effectuer normalement. Dès le XIIe siècle, l'ancienne place Basse (aujourd'hui place Carnot) fait l'objet d'agrandissements successifs, de même que l'ancienne place Haute (aujourd'hui place Champollion) dont les dernières modifications ont pu être datées du XIVe siècle. Depuis l'organisation de la ville en commune, les Figeacois représentés par leurs consuls affrontent leur seigneur dans une querelle sans merci ; celui-ci avait quelquefois abusé de son pouvoir. Cet affrontement qui dura pendant tout le XIIIe siècle n'empêcha ni la construction des bâtiments monastiques, ni la poursuite de l'édification de la ville et de ses faubourgs, ni l'accroissement des activités commerciales, ni même, par conséquence, l'enrichissement de certains Figeacois. Cette querelle ne priva pas non plus les constructeurs des édifices civils de continuer à s'inspirer des nouvelles formes qui apparaissent sur le chantier du monastère et on peut noter que l'influence a également fonctionné en sens inverse. Les principaux indices de l'importante croissance urbaine du XIIIe siècle sont les créations de paroisses autour d'églises bâties à cette époque. Le XIVe siècle débute par l'acquisition de la souveraineté de la ville par le roi Philippe Le Bel. Il s'en suivra un certain nombre de transactions effectuées par l'intermédiaire de la famille Balène qui joua un grand rôle à Figeac par la suite. Les chantiers de l'abbaye et de la nouvelle église de Notre-Dame du Puy s'achèvent. La ville déborde alors largement de ses remparts. Elle accueille dans ses faubourgs les quatre ordres mendiants, ce qui témoigne de l'importance de la cité. A l'intérieur des murs les espaces libres se font rares. Les maisons sont alors bâties sur les parcelles d'édifices plus anciens. A partir du milieu du XIVe siècle, Figeac subit la peste et les attaques sauvages des compagnies anglaises. Il semble pourtant que l'activité économique et constructive se poursuive, sans doute plus faiblement qu'auparavant puisque le cadastre d'Aujou rédigé à la fin du siècle mentionne un certain nombre d'espaces vides en plein centre ville, témoins de l'abandon et de la disparition progressive de certaines constructions.

L'étude de la construction médiévale à Figeac s'est tout particulièrement nourrie des analyses d'édifices civils. La ville ne connaissait pas de problèmes d'approvisionnement en matériaux bénéficiant de la proximité de riches carrières et de nombreuses forêts qui fournirent le grès et le bois seuls matériaux alors utilisés. Le grès à grain très fin, parfaitement taillé et appareillé, caractérise le bâti le plus ancien. La construction mixte est également majoritaire sur les demeures "romanes", c'est-à-dire que le rez-de-chaussée, et parfois le premier étage, étaient bâtis en pierre tandis que les parties supérieures s'élevaient en pans-de-bois et en encorbellement sur la rue. Seuls les plus grands édifices, qui étaient visiblement les plus luxueux, étaient entièrement bâtis en pierre. Il en est de même aux époques postérieures où l'on note une nette tendance à la multiplication d'édifices vastes, grands hôtels ou palais typiques du XIVe siècle, où l'utilisation du bois devient plus rare.

Ce travail sur les demeures de Figeac est également une contribution à la connaissance des demeures urbaines médiévales de façon générale. De nombreux parallèles ont été possibles entre autre avec les maisons de Montpellier et de Cahors, en ce qui concerne notamment deux structures principales d'édifice : les maisons à corps unique intégrant dans l'oeuvre l'escalier, et les demeures à plusieurs corps de bâtiment distribués par des galeries et un escalier situé dans la cour. L'importance de l'aula et son lien avec le grand degré a pu également être vérifié. A Figeac cependant, certains indices chronologiques plus précis ont permis de mieux cerner l'évolution de chacun de ces deux schémas. Les maisons les plus anciennes sont dans leur grande majorité des édifices à corps unique, de petites dimensions, comprenant le plus souvent deux étages et un comble. Le plus souvent, des boutiques occupent le rez-de-chaussée, la salle est signalée au premier étage par un décor raffiné tandis que les chambres occupent le second. Les espaces intérieurs reçoivent très peu d'aménagements de confort (cheminées, latrines, lavabos), au contraire de ce que l'on observe dans les édifices des époques postérieures. Les étages de ces édifices sont parfois distribués par un système de galeries en bois accrochées aux façades secondaires. Durant le XIIIe siècle, on note peu de changements mise à part l'apparition de cloisons maçonnées permettant une distribution plus appropriée des différentes chambres à partir de la salle. L'apparition des oculus au-dessus des fenêtres révèle la préoccupation de l'éclairement intérieur une fois les volets fermés. Vers la fin du XIIIe siècle, on voit se construire des édifices aux dimensions plus vastes, à plusieurs corps de bâtiments et comprenant un certain nombre d'aménagements. Ce modèle se multiplie au XIVe siècle, trouvant sa version la plus achevée au palais de Balène. Quatre ailes autour d'une cour, une entrée monumentale défendue par une tour, des salles voûtées au rez-de-chaussée, une cuisine, un puits, un escalier monumental débouchant sur la porte décorée d'une salle immense éclairée sur quatre côtés. L'édifice ne contenait pas moins de 16 pièces dont certaines aménagées de niches, de cheminées et de latrines. Désormais, les grandes baies garnies de verre éclairent largement les intérieurs. La généralisation des croisées, notamment dans les chambres, permettait d'autre part d'obtenir l'obscurité totale en plaçant des volets derrière les vitrages. Les problèmes d'éclairement et d'étanchéité des fenêtres qui se posaient au XIIe siècle étaient résolus au XIVe siècle.

Le décor a une place importante dans le cadre de vie de l'homme médiéval, et ce tout particulièrement à Figeac. La présence d'un grès d'excellente qualité a autorisé le développement d'ornements moulurés et sculptés et fut à l'origine de ce que l'on peut définir comme le "style figeacois" dont la principale caractéristique est le raffinement. Son succès dépassa le cadre restreint de la ville puisque l'on a pu déterminer une aire d'influence de plus ou moins 60 km de rayon autour de la ville. Ces décors ont permis en outre d'établir un répertoire de formes assez complet à partir duquel se dessinent quatre groupes d'édifices dans la ville, entre le XIIe et le XIVe siècle. Il s'agit principalement de moulures et de sculptures qui sont les indicateurs sensibles de l'évolution des styles. Le décor est aussi à l'intérieur des maison. De très nombreuses traces permettent de penser que les ornements peints étaient une pratique assez courante. Des vestiges importants trouvés dans une demeure du XIVe siècle donnent l'image d'intérieurs peints aux couleurs vives. D'autres traces montrent également que la peinture déborde sur les points forts des façades extérieures (moulures des fenêtres, sculptures, cordons ), alors que des vitraux, vestiges plus rares, venaient ajouter une intensité chromatique supplémentaire. Ce sont là des indices intéressants et parfois inédits qui enrichissent de détails colorés l'image du cadre de vie de l'homme médiéval.

Illustrations :

Cette thèse est en cours de publication. Une souscription est ouverte.

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