GUILLAUME DARCEL

vsd
N° 745 - 12 au 18 décembre 1991
Condamné pour trafic d’armes, Didier Chamizo a redécouvert la joie de peindre en prison. Aujourd’hui son talent est reconnu par tous mais, interdit de séjour à Paris, il ne peut assister à ses propres expositions.

Chamizo, 10 ans de peinture
derrière les barreaux

Didier Chamizo a redécouvert la joie de peindre en prison
«Quand la porte s’est ouverte, j’ai marché pendant dix mètres, et ce fut comme si ces dix ans de prison n’avaient jamais existés.» Dix ans, vraiment et Didier Chamizo avoue qu'il doit parfois se regarder dans un miroir, toucher son propre visage, pour croire que c’est bien lui qui a passé dix années derrière les barreaux. Devant ses éclats de rire, sa rage de peindre, son amour de la vie, on se prend à douter nous aussi. Dix ans, vraiment ? On s’attend à quelqu’un de cassé, d’abîmé par une si longue détention. Et c’est un enfant de 40 ans qui vous accueille, survolté et excité, mais serein comme le sont tous les artistes passionnés par ce qu’ils vivent.

Incarcéré pour sa participation à un trafic d’armes, en 1981, à la prison Saint-Paul de Lyon, puis à la centrale de Val-de-Reuil, Didier Chamizo a été libéré il y a quelques jours. Pendant ces dix années, Chamizo n’a cessé de peindre… sans jamais pouvoir assister à l’accrochage de ses toiles.

Exposition " Liberté " au Centre franco-américain de Lyon, à la Fondation Boris-Vian à Prades, expo " Révolution " à l’hôtel de ville de Saint-Étienne, à la mairie de Lyon (exposition inaugurée par Michel Noir), puis à celle de Cahors : mois après mois, Chamizo est reconnu.

D'abord par ses codétenus et le personnel pénitentiaire (" La plupart ont compris mon travail et semblaient contents que quelque chose de positif se passe à l'intérieur de la prison ") puis par des amoureux de ce coloriste révolté (lors de l'exposition à la galerie Albert-Ier à Paris en 1990, toutes les toiles sont vendues le soir même du vernissage), enfin par les plus importants peintres français contemporains, comme Ben (qui lui enverra des dessins et des autocollants), Vasarely (qui lui fera parvenir ses vœux) ou Gérard Garouste.

La couleur pour oublier l'ombre.
Une passion, une rage. Dix heures par jour, pendant dix ans,
le taulard n'a cessé de peindre.
CORRESPONDANCE ENTRE UN MECENE ET UN TAULARD

Alain-Dominique Perrin, président de la Fondation Cartier pour l'art contemporain, reconnaît très vite chez Chamizo un véritable talent. Il lui écrit en 1988, et entre le taulard et le mécène va alors s’établir une longue correspondance.

En 1989, Alain-Dominique Perrin sonne à la porte de la prison et la première rencontre a lieu. En hôte fort poli, Chamizo fait visiter sa demeure au P-DG : sa cellule, l’atelier, le réfectoire… Les deux hommes deviendront amis.

Un an auparavant, intrigué puis très vite séduit, le cinéaste François Reichenbach avait décidé de consacrer un film au prisonnier devenu artiste.

Pendant sa première année de détention, Didier Chamizo reste cloué sur un lit d'hôpital après une course poursuite un peu folle sur une autoroute. Course où il a failli laisser la vie. Alors, allongé, il écrit, quelque vingt feuillets par jour, et dessine. Puis, dès qu'il peut se lever, il se remet à peindre.

Il aurait pu baisser les bras, laisser filer les jours et les heures comme les autres détenus et ne plus croire en rien. Or, il réagit très vite.

Ce sont ses parents les premiers qui comprennent que, même en prison, Didier n'abandonnera pas sa passion, et que le taulard restera peintre. Ce sont eux qui les premiers lui font parvenir son matériel. Commence alors un étonnant ballet pénitentiaire : entrent les châssis, les gouaches, les brosses, sortent les tableaux, par dizaines. L'ancien révolté et trafiquant d'armes est redevenu peintre.

En fait, Chamizo revient de loin. Après 1968 et son fameux printemps, il se sent l'âme révolutionnaire. Avec quelques amis, il veut acheter des armes et les convoyer jusqu'en Espagne, afin d'aider la violente révolte de groupuscules gauchistes, fort actifs de l'autre côté des Pyrénées. L'argent ? Ils n'en ont pas. Commencent alors les braquages. Des attaques de banques qu'Action directe appellera plus tard des " récupérations prolétariennes ". Arrêté et emprisonné une première fois, il durcit un peu plus sa position.

- En mai, nous avions tous rêvé. Et notre printemps n'avait pas été suivi d'été, dit-il aujourd'hui.

" CHAMIZO PEINT COMME MOI JE POSE DES BOMBES "

C'est à cette époque qu'il se met à détruire ses œuvres. Plus de 300 peintures et près de 1 000 dessins vont être brûlés, mitraillés, lacérés.

- Je continuais la peinture... tout en la détruisant.

Son accident de 1981 et sa deuxième condamnation, à treize ans de prison, vont complètement le transformer.

- Je me sentais immortel, raconte-t-il aujourd'hui, et puis j'ai failli mourir, je devenais dépendant des autres et j'ai changé.

Les tubes de peinture vont alors remplacer, définitivement, les cartouches. Le théoricien de la branche Lyonnaise d'Action directe, André 0livier, qu'il avait fréquenté, dira d’ailleurs de lui avant d'être arrêté à son tour : " Chamizo peint comme moi je pose des bombes. "

Chamizo ne va pas arrêter de peindre. Après une intervention du ministère de la Culture, qui reconnaît assez vite son talent, il peut troquer sa minuscule cellule contre une salle de classe qui va lui servir d'atelier. Il peut peindre dix heures par jour.

Et, logiquement, sa peinture évolue. Les lettres emmêlées et multicolores qui composaient le fond de ses tableaux prennent tout doucement la première place pour devenir aujourd'hui la peinture elle-même. Dans les corps et les visages de ses derniers tableaux – Le Surfeur, L’Indien de Manhattan, Le Bacchus, Le Travesti - on devine des mois, écrits dans tous es alphabets du monde : en romain, cyrillique, hébreu, etc. Des mots devenus peintures, qui éclatent :

- Même dans mes toiles les plus tristes, je ne peux mettre que des couleurs vives.

Chamizo rit, libre désormais, dans les Causses du Quercy, et remercie ceux qui l'ont soutenu si longtemps. Il s'emporte contre les prix fous du marché de l'art, mais n'éprouve aucune haine pour ceux qui l'ont enfermé. Aujourd'hui, il vient de dessiner sa silhouette à l'entrée de l'impasse de Nadaillac, qui l'a vu naître. " A défaut d'une plaque officielle... ", dit-il. Les bras en croix, l'image semble tirer un trait sur son passé, et s'ouvrir vers de prochaines expositions.

Désormais, Didier Chamizo a deux projets qui lui tiennent à cœur : une gigantesque fresque sur les droits de l'homme, en plein air, de 135 mètres sur 6 à Douelle, près de Cahors, et 30 tableaux destinés à un fonds d'art contemporain à New York, qui sera installé dans un tunnel qui abritait auparavant une boîte de nuit appartenant à son agent - et ami - Norbert Binotti, qui lui non plus ne l'a jamais abandonné. Avec aussi une idée un peu folle : " Complicités d'évasion ". Ce jour-là, Chamizo retournera en prison, mais libre, et pour peindre. Ben, Hervé Di Rosa, Jérôme Mesnager, Speedy Graffito et de nombreux autres artistes contemporains peindront pour et avec les prisonniers de Lyon. Mais les expositions du peintre qui " vaut " aujourd’hui entre 25 et 30 000 francs, prévues à Lyon, Nice, Cannes et Paris se feront pour l’instant sans lui : le peintre, ancien taulard, traîne encore derrière lui, une interdiction de séjour sur Paris et la petite couronne, dans le Rhône et les départements limitrophes, les Bouches-du-Rhône et toute la Côte d’Azur. Pas vraiment la France entière, mais presque…



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