1791.
Au Vigan : Farouche opposition au transfert des archives du chapitre !
Larticle 9 du titre III de la loi du 5
novembre 1790 stipule que les terriers, les registres, les chartes, les papiers et tous
les autres titres concernant des biens nationaux dont l'administration à la charge, sont
confiés aux instances départementales et seront déposés aux archives du district, avec
un inventaire fait ou à faire préalablement. Au Vigan, un vent de fronde se manifeste
contre ce transfert des archives du chapitre à Gourdon, considéré comme une atteinte à
leur foi. |
Afin de faire respecter cet article 9, le 28
juillet 1791, un commissaire nommé par un arrêté du 25, Joseph Panouze membre du
directoire du district, se rend au Vigan pour, conjointement et en présence de la
municipalité, effectuer la levée des scellés des archives du chapitre puis les
acheminer vers Gourdon. Ce même arrêté charge également les autorités locales e
nommer deux personnes, prises dans leur sein "pour fournir bonne et sûre garde
de ces documents pendant leur transfert avec le commandant de la garde nationale".
Un groupe de femmes fait sonner le tocsin
Sur
place, à huit heures du matin, Joseph Fanouze surpris de ne pas rencontrer la
municipalité pourtant informée par lettre de sa venue, envoie un patriote pour la
prévenir de son arrivée et lui demander de préparer les moyens nécessaires au
transport, puis va rendre visite au curé de la paroisse. Chemin faisant "il
entend des femmes, parler de papiers à brûler, de coups de barre à foutre".
Feignant d'être insensible à ces provocations, il poursuit sa route, ne trouve personne
au presbytère, se dirige alors vers l'église pour assister à la messe. Au cours de la
célébration, un groupe de femmes dit à voix haute: "on envoie chercher les
papiers du chapitre, on ne les aura point, on n'a pas besoin des hommes, il faut sonner le
tocsin". Chose immédiatement exécutée.
A la sortie de l'office, Panouze aperçoit deux
officiers municipaux, leur fait part des propos entendus et les requiert de faire cesser
le bruit des cloches ce "à quoi satisfait assez nonchalamment l'un d'eux nommé
Bastit". Tous les trois se dirigent ensuite vers la cure où, à peine arrivés,
entre le commandant de la garde nationale Hugon, venu leur faire part de l'opposition de
la population au transfert envisagé. Au même instant, le tocsin retentit, à nouveau, ce
qui conduit le prêtre à blâmer la municipalité pour son peu d'énergie et à inciter
ses deux représentants présents à montrer leur autorité en faisant interrompre la
sonnerie. Bastit repart à l'église et obtient satisfaction. Mais les femmes s'attroupent
et pour la troisième fois, le tocsin est mis en branle. Voyant que ni le maire subitement
malade, ni les élus, ni le commandant de la garde nationale évaporé, ne sont en mesure
de dissiper ce rassemblement Panouze pour éviter de plus graves incidents, prend le parti
de se retirer, après avoir prié les deux municipaux de l'accompagner jusqu'à la sortie
du village. Son départ ne passe pas inaperçu, les manifestants s'arment de pierres,
poussent des cris injurieux et l'arrêtent. Il ne résiste pas, tente de leur expliquer
l'objet de sa mission et profite du répit produit par sa harangue pour s'éclipser seul,
puisque abandonné à la foule par ses deux accompagnateurs et aller rendre compte des
événements.
Le
recours à la sagesse pour débloquer la situation...
Le même jour, à la suite de ces troubles, une
réunion commune extraordinaire du directoire et de la société des Amis de la
Constitution se tient à Gourdon afin de trouver les moyens propres à apaiser cette
insurrection et ramener le Vigan à la tranquillité. La société désigne quatre de ses
membres "pour aller prêcher à ce peuple égaré, l'obéissance à la loi et la
confiance au corps administratif". Ces délégués, arrivés à pied et sans
arme, semblent bien accueillis et les habitants prêts à se laisser persuader. Plutôt
satisfait du résultat de leur intervention, les émissaires vont prendre un
rafraîchissement chez un particulier, mais le tocsin se met à sonner comme il l'a fait
une grande partie de la journée. Des jeunes gens se présentent pour les mettre sous leur
sauvegarde et leur permettre de regagner le district. A la sortie du village, l'escorte
les quitte et aussitôt "on leur fait pleuvoir dessus une grêle de
pierres". Ils ne peuvent arriver à Gourdon "qu'à travers les champs
et par des chemins détournés".
Sommés de s'expliquer sans délai, les responsables
municipaux du Vigan, après avoir pris conseil, soulignent d'abord aux administrateurs le
calme habituel de la commune. Ces troubles surprenants, inimaginables, sont provoqués
vraisemblablement par le manque d'information, par l'utilité du chartrier pour certaines
familles, par le souvenir de bienfaits des religieux et par l'absence d'inventaire. "Comme
le peuple n'était pas prévenu de sa translation, il en a fallu bien peu pour la faire
regarder comme une entreprise sur ses intérêts. Quelque dévot a peut être saisi cette
occasion pour allumer les torches du fanatisme. L'administration est instruite par
expérience que le peuple ne sait pas encore user de la liberté et qu'il n'est pas
possible, sans force publique, d'éviter ses élans de fougue excités par la moindre
provocation. Pour faire face à une population nombreuse, une municipalité faible doit
employer les ménagements suggérés par la sagesse pour arranger une affaire pas encore
désespérée".
Analyse judicieuse, face à quelques boutefeux, puisque le
4 août 1791, escortée par plusieurs membres de la commune du Vigan, une voiture chargée
des archives du chapitre, contenues dans une grande armoire, arrive à Gourdon. Ce meuble
placé au Directoire est de suite scellé et ses clefs remises aux parties avec promesse
d'inventaire au premier jour.
Cet incident montre le trouble créé, dans une population
attachée à sa foi, par la volonté des autorités révolutionnaires d'intervenir dans
l'organîsation éclésiastique.
Louis
Ducombeau - Sources: A.D. 46. |