Titre en ce temps là (4154 octects)
 

Un article de LOUIS DUCOMBEAU

1826.
A Belaye.
Règlement de comptes sur la question du passage d'un convoi mortuaire !

Sous Charles X, à la campagne, on reste attaché aux pratiques religieuses. Le culte des morts fait l'unanimité et s'extériorise collectivement. La solennité de l'enterrement où le chagrin de la parentèle et des voisins s'exprime avec une certaine pompe est rarement troublée. Cependant un fait étrange se produisit à Bélaye...

LYONS.GIF (24026 octets)Lorsque Jean Guilhou est informé du projet de faire passer sur sa propriété de la Gravelle, située dans le vallon de Belaye, le cercueil de Jean-Pierre Boulsaguet de Charrou, il n'hésite pas à envoyer un domestique au domicile des "dirigeants du convoi et des porteurs" pour leur faire part de son opposition à un passage sur ses terres et leur demander d'emprunter une voie publique appelée "le chemin des Morts".

Cette injonction est peu appréciée et l'itinéraire maintenu. Les intéressés "ne veulent pas aller faire un grand tour. En outre ils ont toujours suivi ce parcours et n'ont pas l'intention de modifier leurs habitudes". L'un deux, Jean Crassac, ajoute à voix haute et ferme "de toutes façons il nous plaît d'y passer". Détenteur de ces réponses, le serviteur se retire.

Le 3 décembre 1826, Barthélémy Guilhou, qui vient d'assister aux vêpres et rentre chez son oncle, voit le cortège funèbre se diriger vers le domaine où le passage est interdit. Il va à la rencontre du convoi, se découvre, appelle "doucement" le curé mais "ce dernier sans rien dire, lui fait signe de la main". Barthélémy n'insiste pas et "rejoint les porteurs du corps éloignés, à peu près d'une portée de fusil du prêtre, en train de descendre, par le travers presque à pic, sans prières et sans chants". Alors Jean Crassac saisit des pierres et s'écrie "que veut cet étranger, nous voulons passer, nous y sommes toujours passés". Raymond Canies, beau-frère du défunt, répète ces propos, ajoute le mot brigand et termine par "un tel étranger ne doit pas être souffert dans la commune". Face à ces réactions, Barthélémy en homme sage, se borne à déclarer: "Je ne vous empêche pas de passer mais me souviendrai et porterai témoignage". Comme le sentier est étroit, il se rapproche du bord supérieur pour faciliter le passage des participants et ce faisant, heurte ou est heurté par un porteur nommé Gouzou. Ce dernier lui prête l'intention de vouloir le faire tomber dans le précipice mais cela ne crée aucun désordre supplémentaire car le Miséréré entonné par le prêtre permet de reprendre le déroulement normal des obsèques.

Peut-on s'opposer au passage d'un convoi mortuaire ?

Le différend est porté en justice où les parties s'affrontent sur la possibilité de s'opposer ou non au passage de cérémonies religieuses sur une propriété dépourvue de ce type de servitudes et sur les incidences éventuelles des propos injurieux. Ce procès fait remonter à la surface un fait divers sanglant occulté par la communauté.

En effet, pendant la Révolution, dans une assemblée populaire tenue en l'église de Belaye, arrive l'abbé Delteil chargé de veiller à l'administration des biens du château du Boulvé. A son entrée les insultes fusent "brigand, aristocrate, cet homme n'est pas digne de rester dans ce lieu...". La foule surexcitée se saisit de lui, le jette dehors, lui déchire les vêtements, lui arrache les cheveux, "le meurtri à coups de pierres, lui lève la peau avec les ongles, le conduit vers l'eau pour le noyer mais parvenu au moulin préfère le précipiter sous les meules afin de le faire pulvériser par les barres du rouage". La malheureuse victime profite du flottement créé par "ce changement de programme" pour s'échapper. Saute sur un rocher "court dans l'eau rougie par son sang au fur et à mesure de son avance, parvient à traverser la rivière mais à bout de force s'effondre sur l'herbe de la berge". Malheureusement un scélérat, de Belaye, suit ses traces arrive sur lui, se saisit de la rame d'une barque, lui écrase la tête, lui enlève ses souliers (c'est tout ce qui lui reste puisque montre et argent ont été dérobés par la foule à la sortie du sanctuaire) et traîne le cadavre dans le courant.

Vingt-trois mois de palabres pour régler l'affaire...

Le rappel de cette ignominie, dont la plus grande partie des personnes appelées à déposer furent les témoins sans être les défenseurs, ne modifie en rien la position des plaideurs dans un premier temps. Il faut toute la patience et le bon sens du juge de paix, Jean-Baptiste Pages, pour obtenir après vingt-trois mois de palabres un "verbail de conciliation".

Acte dans lequel Jean Crassac et Raymond Canies admettent avoir agi par ignorance et reconnaissent ne posséder aucun droit de passage sur la propriété de la Gravelle. Ils prennent l'engagement, tant pour eux que pour les leurs, de ne plus y passer et proposent à Jean Guilhou de payer le coût des frais de sa procédure et de l'acte de conciliation.

Jean Guilhou satisfait des déclarations et de l'offre de ses adversaires, déclare ne plus donner suite à cette affaire et réduit la somme à rembourser à 40 francs. Ainsi tout est bien qui finit bien dans le meilleur des mondes...


Louis Ducombeau - Sources: A.D. 46.


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Sources : Archives Départementales du Lot
Publié avec l'aimable autorisation de
La Vie Quercynoise

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