La forme et les matériaux, que la nature lui offre vont
connaître en ce lieu les mutations du senti, du geste et du faire.
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Philippe CYROULNIK L'atelier est immergé dans l'espace plombé de
l'été aride. Sous la lumière brûlante, le minéral et le végétal s'entremêlent. Les
contrastes de densité et de vide ourlent, au gré des lumières du jour, cette nature
immuable et pourtant changeante, où le regard se perd et s'aveugle.
De cette nature, les sculptures d'André Nouyrit en prélèvent du matériau, en
restituent la tension et l'éclat ; mais dans un acte de séparation. Elles sont des
points de concentration et d'accroche pour le regard.
L'atelier est une lisière fragile et ténue ; c'est un lieu de passage où se nouent dans
la solitude du paysage, des portions d'humanité et de nature. La forme et les matériaux,
que la nature lui offre vont connaître en ce lieu les mutations du senti, du geste et du
faire.
Ils vont subir les altérations de la greffe et de l'hybridation. L'indifférente surface
du végétai et du minéral va connaître l'entaille du sens, de l'acte qui affirme la
forme de l'oeuvre. lis vont se soumettre à la métamorphose des matériaux et des
couleurs de l'homo faber.
C'est d'abord dans la contiguïté avec le paysage à la limite de la dissolution
qu'André Nouyrit trouve ses marques. "Se perdre, ne plus rien savoir" dit-il...
il campe à l'intersection de la mémoire des choses et de la sienne pour en extraire, en
abstraire ses sculptures, conjuguant dans son travail le ressenti et le pressenti.
Elles sont donc le fruit d'un détachement du monde, d'un arrachement même. C'est en lui
qu'elles trouvent leur autonomie, c'est dans cette séparation qu'elles fondent leur
abstraction. André Nouyrit revendique le risque de leur invention et le définit comme le
champ de son aventure et de son rapport au monde.
C'est pourquoi, l'inclusion de matériaux industriels aux éléments naturels et les
couleurs clinquantes de la modernité sont consubstantiels à sa sculpture. Leur éclat
acidulé, l'artifice de leur brillance affirme l'invention contre la duplication du monde.
Ces matériaux, ferrailles, béton, font effraction dans le matériau naturel. Ces greffes
les entament, les dépècent de leur naturalité. lis proclament le bonheur fragile mais
exaltant de la forme et de la couleur.
André Nouyrit décèle dans la nature, non pas la forme de celle-ci, mais les formes de
son oeuvre. Il y rêve des couleurs, qu'il risque aux couleurs du monde. Ses sculptures
entremêlent archaïsme et modernité, elles jouent à la fois de la couleur et du dessin
de la forme.
Elles font appel autant à l'assemblage qu'à la taille directe. Elles conjuguent le sens
du rythme et celui de la rupture. L'arrachement qu'elles supposent implique une
concentration et une condensation qui leur confèrent un caractère totémique. Sa
conscience du caractère désespéré du geste qui les constitue en détermine leur
pathétique et insolente fragilité. Fragilité acceptée dans leur confrontation à la
nature,. Mais c'est dans cette fragilité même qu'il trouve sa force.
Contre sa lumière écrasante, le criard pied-de-nez de la couleur, contre l'indifférence
de "sa chair", la découpe fragile de la sculpture. André Nouyrit ne reproduit
pas la nature, tout son effort porte à s'en nourrir pour s'en abstraire.' C'est dans
cette précaire émergence de la forme qu'il trouve la justesse de son oeuvre.
Mai 1997 |