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Jacques BOUZERAND Sa stratégie a toujours été celle de la
discrétion. Il n'y a pas gagné en surface de notoriété, dans un milieu de l'art où la
communication, l'apparence et le faire-savoir sont devenus des composantes majeures. Il y
a en revanche beaucoup acquis en profondeur et en épaisseur. Ce qui est tout de même
plus important. Il se considère comme un artiste très marginal, c'est à dire non
inscrit au répertoire convenu des écoles et des groupes, mais fondamentalement engagé
dans la quête de l'identité de notre époque dont il se veut, à plein, partie prenante.
Percutante, originale, chargée de sens, son oeuvre, en pleine maturité, est
manifestement importante. André Nouyrit est né à Cahors à la fin de l'année 1940 dans
une famille très enracinée dans le terroir quercynois et très avertie des choses de la
culture et de l'art. Quand, bac en poche, il 'monte faire les beaux arts", à Paris ,
en 1958, il s'inscrit, ce qui est déjà un signe de densité personnelle, à l'atelier
d'art sacré d'Edmée Larnaudie. Les années soixante et soixante-dix sont pour lui celles
de l'apprentissage. A Paris d'abord, puis pour quelques mois, dans l'arrière pays
niçois, à proximité de l'atelier de son ancien condisciple et ami du lycée de Cahors,
Bernard Pagès, un grand artiste novateur aujourd'hui reconnu et confirmé, puis à
Barcelone, où il demeurera une année. En 1972, il se fixe à nouveau dans le Lot. A
Savanac d'abord, dans la vallée chaleureuse et facile, riche et sereine, puis, en 1976,
à Aujols, sur le Causse, rude et rugueux, intense et habité. De son travail de cette
période, il ne reste, hélas, plus rien. L' incendie de son atelier détruit
irrémédiablement, en 1977, toutes les oeuvres qu'il avait créées jusque là et
notamment celles qu'il avait pu exposer, en 1963, à Paris, à la galerie des Beaux Arts
et, en 1967, à l'Atelier d'Alésia.
Mettant à profit cette catastrophe, André Nouyrit en fait l'occasion d'une refondation.
Dans la solitude de la grange en pierres sèches ou sous l'auvent de tuiles romaines qui
sont les espaces rustiques où il organise sa création, face à face avec la nature
sauvage, lieu suprême de réflexion, en une confrontation têtue avec les éléments, il
va définir sa propre route. Celle d'un pèlerin de l'inconnu, d'un sourcier à la
recherche du fleuve souterrain de nos secrets. 1978 lui offre la possibilité de mettre en
scène sa nouvelle production dans le cadre extérieur de l' exposition mémo- rable
"Nationale 20", où figurent à ses côtés Pincemin, Viallat, Pagès,
Redoulès, Louttre B., Clareboudt... Et à Nice lors de la 5'le biennale de la jeune
peinture méditerranéen- ne. Dès lors sa machine personnelle à engendrer des formes et
à exciter des couleurs va prendre un rythme soutenu mais sage et réfléchi. André
Nouyrit n'est pas du genre à surproduire. S'il prend beaucoup de notes, et à longueur de
journées, sur des papiers, des cahiers saturés de dessins et de mots, ses toiles et ses
sculptures ne sortent qu'en petit nombre chaque année de chez lui. "Il me faut
énormément travailler pour dire quelque chose. Je ne veux pas, je ne peux pas tomber
dans le panneau de la facilité. Il faut que je lutte contre moi même, que je me batte
contre ma sculpture, que je me batte contre mon tableau. Si je suis spontané dans mon
désir, je ne le suis pas dans ma création. Je ne suis pas un gestuel" dit il.
"Ostinato rigore", comme Léonard de Vinci, André Nouyrit pourrait faire sienne
cette maxime. La rigueur dans l'atten- tion qu'il porte à la nature, aux éléments qui
l'entourent, à la vie, expliquent la tenue et la tension de ses productions. Son clavier,
son matériau d'intervention, ses outils, la proximité les lui fournissent. Les champs,
les tertres, les forêts, les oiseaux lui offrent leurs joyaux. Il les choisit, leur
insuffle de l'âme. Les richesses de son laboratoire tiennent en quelques mots que
pouvaient utiliser aux tréfonds de notre histoire de l'humanité les artistes magiciens
de cavernes comme celle, si proche, de Pech Merle, ou qu'utilisent aux antipodes de notre
géographie régionale, les chamans et les sorciers d'Afrique, d'Amérique ou d'Océanie.
C'est la terre et la force tellurique qu'elle recèle, la pierre
chargée d'énergie et de mémoire, le bois, chêne, érable, ormeau...
qui a puisé sa constitution dans le sol, l'herbe, qui vit, se dessèche
et s'effrite en mourant, l'os, qui a été la charpente de l'être vivant, la plume,
qui fut sa parure et l'instrument de son envol. Il y a aussi la toile,
brute ou cou- sue, rapiécée, personnalisée, drap, nappe, vêtement... il y a enfin les pigments
qui sont la folie, le génie de l'artiste et sa liberté totale et souveraine
d'expression. Il en fait vibrer toutes les richesses en recherchant le beau. C'est à dire
le vrai. Entre l'artiste et son oeuvre, "une sacrée maîtresse qui te fait enrager
chaque matin", s'engage une empoignade sévère et sensuelle. A mi-chemin de la
parade des lutteurs et de la parade amoureuse des fauves. André Nouyrit jouit de
maîtriser les éléments, d'imprimer son tempo aux ordon- nancements des pièces,
d'inventer la forme de ces "pré- sences" qu'on a baptisées "totems",
de tisser des bandes de papier portant sa griffe, de taillader la toile pour la pénétrer
avec des bâtonnets et surtout de l'illuminer d'un chatoiement de couleurs. André Nouyrit
se sert de la cou- leur comme d'un révélateur. D'un projecteur de sens. De la couleur?
Non, des couleurs. De ses couleurs qui se heur- tent, s'affrontent, s'émeuvent l'une
l'autre, appliquées aux matériaux, aux supports qu'elles exaltent. De la période des
"présences", ces sculptures de bois qui lui sont alors nécessaires pour
combler un vide et pour pal- lier, "dans le désert", la solitude, jusqu'à
celle des toiles de ces dernières années, une vraie cohérence se trame. Elle est dans
son regard sur ce qui l'entoure. Et surtout dans sa réaction. Ici, face au vide, la
résistance qu'il lui oppose. Là, à travers le cadre d'une fenêtre symbolisée, la
question posée du sens à laquelle il répond par le dialogue conflic- tuel entre une
peinture raffinée et des inclusions agressives. Les perspicaces ont déjà très bien
perçu l'intérêt, la qualité et la puissance du travail d'André Nouyrit. Depuis 1978,
ils ont pu voir ses oeuvres présentées à l'occasion d'une tren- taine d'expositions
"de groupe", de Paris à Francfort, de Toulouse à Stockholm, de Deauville à
Trèves, de Belgrade à Montauban, Souillac, Belgrade, Pau, Beaulieu... et mon- trées
lors d'une vingtaine d'expositions personnelles à Paris, Toulouse, Rouen, Saint Cirq
Lapopie. De nombreux collectionneurs et institutions ont déjà saisi l'opportunité
d'enrichir leur jardin secret de ses propositions puissantes et d'enrichir à leur
fréquentation leur sensibilité au monde.
Paris, le 14 mars 1997. |