Un travail où l'écriture, cachée, enfouie sous la couleur,
réduite à un trait, à un signal symbolique, matérialise pour André Nouyrit, la
traduction picturale de ces dessins qu'il fait le matin, en attendant que son atelier se
réchauffe. |
Nicole ZIMERMANNUn grand tableau presque entièrement noir qui
semble avoir avalé toutes les couleurs, dont seule une, étroite bande, violette, rouge
et verte subsiste sur toute la longueur, en haut de la surface noire où les coups de
pinceaux apparents sculptent des ombres et des reliefs, des lumières et des résonances.
Glissés dans la toile qui se fend pour les inclure, deux faisceaux de brindilles peints,
reliés l'un à l'autre par un trait de même couleur - jaune, vert, bleu et rouge - que
les faisceaux eux-mêmes.
Un tableau où éclate une force presque primitive, un langage sensuel à la portée
universelle. Ces pinceaux d'herbe sont ceux qu'André Nouyrit a utilisé pour peindre,
lorsqu'il a installé son nouvel atelier sur le Causse lotois, après l'incendie qui a
détruit l'ancien ; un signe organique, qui marque la toile de l'empreinte de la terre qui
entoure et nourrit désormais l'oeuvre du peintre. Pas entièrement satisfait des
premières uvres réalisées avec ces brosses naturelles, André Nouyrit a ensuite
physiquement intégré ces herbes reliées entre elles à ses tableaux, comme sur cette
grande toile noire, qui rappelle cette période et annonce la suivante, celle quil
expose actuellement à la galerie Kandler.
Lalchimie des petits formats
Un travail où l'écriture, cachée, enfouie sous la couleur, réduite à un trait, à un
signal symbolique, matérialise pour André Nouyrit, la traduction picturale de ces
dessins qu'il fait le matin, en attendant que son atelier se réchauffe. Des croquis, des
écritures d'humeur, des petites impressions en peinture qui disent la vie intime du
peintre, son enfance ou ses déchirements, et qu'il a eu envie de poser cette fois en
grand sur la toile.
Ce qui nous vaut par exemple cette grande peinture divisée en deux, avec sur la droite
des ondulations bleues sur un fond vert, avec des zones où le fond et le signe perdent
leurs frontières et se mêlent, avec des éclairs de jaune ; et sur la gauche, une grande
partie d'un blanc chatoyant et épais, qui a transformé la couleur en souvenir et où se
glissent quatre pinceaux d'herbes colorées.
Ou encore ces uvres multicolores, où des bandes de couleur pure se chevauchent sans
hiérarchie, empiètent joyeusement les unes sur les autres et partent gaiement à
l'assaut d'une toile à laquelle des croix, des hachures, des courbes, des symboles,
réminiscences d'écriture plus ou moins visibles, donnent la densité et le poids du
vécu, de la mémoire, d'une histoire qui puise sa charge émotionnelle dans la
simplicité originelle de son langage.
Au milieu de ces toiles qui disent à leur façon forte et colorée la fidélité du
peintre à son terroir, et l'évolution maîtrisée et sûre de son travail, des
sculptures de petite taille reprennent les formes simples et chatoyantes des grands totems
d'André Nouyrit, avec des sortes de gri-gri, de plumes qui essayent dérisoirement
d'équilibrer un faisceau de brindilles colorées, et qui y parviennent, comme s'ils
avaient le pouvoir de suspendre un instant le vent, ou le temps.
Equilibre et audace, attraction et répulsion, force et fragilité, spontanéité et
réflexion, intensité et tension: il y a dans ces petits formats la même alchimie
sorcière, la même présence habitée que dans les grandes statues qui disent, avec
sensibilité, puissance, maîtrise et sensualité, à la fois la beauté et la tragédie
de notre monde. Tout comme les tableaux d'André Nouyrit, inscrits dans la continuité
cohérente d'une uvre, nés d'un corps à corps intense et sincère, avec la
matière, traversés d'une exigence spirituelle, ne gardent de leurs combats qu'une
légère sensation de réflexion dans les vibrations de la couleur, de gravité dans leur
chant joyeux. Pour, par delà la séduction, nous toucher profondément. |